
“Les gens nous achètent d’abord parce que la bière est bonne et qu’on est une marque locale” : Moulins d’Ascq, la brasserie 100 % bio, 0 % greenwashing
Hautement consommatrice d’eau et d’énergie, la production de bière n’est pas l’activité la plus écologique qui soit. Si les brasseries prennent petit à petit la mesure de cette problématique et des moyens d’y remédier, la nordiste Moulins d’Ascq fait figure de pionnière en France. Production totalement biologique, panneaux solaires sur le toit, récupération des eaux de pluie… Le Petit Ballon a discuté avec le gérant Alban Decoster sur cet engagement peu commun.
Comment la brasserie est-elle née ?
C’est Mathieu Lepoutre qui l’a créée en 1999. Il avait plutôt une formation commerciale et il s’est dit qu’il voulait devenir vigneron. Mais il venait du Nord et à l’époque, avant le dérèglement climatique, le vin n’était pas vraiment envisageable ici. C’est différent aujourd’hui malheureusement… C’est là qu’il a rencontré Daniel Thiriez, un ancien cadre de la grande distribution qui venait de créer sa brasserie. Mathieu a vu les cuves et s’est dit : c’est ça que je veux faire.
Ensuite il y a eu une autre rencontre, avec mon oncle, Thierry Decoster, qui avait installé à Villeneuve d’Ascq un pôle d’activité autour de l’agriculture biologique et du développement durable. Il y avait un magasin, des boîtes de communication, des architectes, un fournil… Avec un projet social également : les travailleurs étaient des personnes éloignées de l’emploi, en situation de handicap, etc. La brasserie s’est donc montée là en respectant le cahier des charges qui était de faire du bio.
C’était très avant-gardiste pour l’époque ! En 1999 le bio n'avait pas l’importance qu’il a aujourd’hui, et ne parlons même pas de la bière artisanale, il y avait à peine 100 brasseries en France. Mais ils ont avancé, petit à petit. Moi je les ai rejoint en 2015, au même moment que l’essor de la bière artisanale. Aujourd’hui, on produit environ 15 000 hectolitres par an, avec une équipe de 25 personnes.
Et cet engagement environnemental a perduré, comment se traduit-il aujourd’hui ?
À chaque fois qu’on prend une décision pour la brasserie, on essaie de la voir à travers le prisme environnemental : quel impact va-t-elle avoir ? Mais notre objectif n’est pas d’agir “pour la planète”, on est engagés pour le vivant, pour nous assurer des conditions correctes de vie sur Terre. Parce qu’on sait tous que la Terre est capable de se régénérer, et qu’elle n’a pas besoin de nous pour le faire. Donc on essaie de mettre en place des choses pour faire en sorte qu’elle reste viable pour l'humain.
Concrètement, on essaie de réduire le plus possible notre impact. Et ce qu’on peut réduire c’est notre consommation d’énergie ainsi que la produire sur place, les intrants utilisés, le transport… Le réemploi des bouteilles, par exemple, est bien plus performant que le recyclage. L’agriculture biologique, c’est un vrai capteur de CO2, un régénérateur de biodiversité, bref un vrai remède à pas mal de nos plaies actuelles. Évidemment, nous ne sommes pas toujours parfaits, mais on essaie de prendre les décisions les moins impactantes.
Trouver des matières premières bio et locales en même temps, c’est facile en 2025 ?
Plus aujourd’hui qu’à l’époque, c’est sûr. Pour le houblon ça fait deux ans maintenant qu’on achète 50 % de nos variétés à un agriculteur à côté de chez nous, qui s’appelle Julien Hennon. 80 % de notre orge vient de la coopérative Biocer qui travaille avec des agriculteurs des Hauts-de-France, et le maltage est fait en Belgique. Les 20 % restants viennent du Bénélux et de Grande-Bretagne. En fonction des années et de la qualité des récoltes, soit on est sur du 100 % français, soit on est obligés d’aller ailleurs, pas pour des questions de volume mais d’homogénéité de la qualité. C’est surtout ça notre problématique.
Et depuis quelques années on fait un test avec un agriculteur qui est à 50 mètres de la brasserie, on a planté deux hectares d’orge qu’on a fait malter et qu’on va bientôt recevoir, avec le houblon de Julien on va pouvoir brasser une bière bio 100 % locale. Évidemment le prix n’est pas le même, c’est hyper consommateur de temps… On essuie un peu les plâtres, mais c’est hyper intéressant !
Vous portez également des projets à impact social…
Oui, on travaille par exemple avec l’association Bureau du cœur, qui part du principe qu'il y a plein de locaux d'entreprises qui sont vides le soir et le week-end, alors qu’au même moment plein de gens sont à la rue. On met donc nos locaux à disposition d’une personne pour qu’elle soit hébergée en lieu sûr, au chaud, qu’elle puisse se laver, dîner, et savoir où dormir - ce qui est le minimum pour pouvoir trouver un travail et se réinsérer socialement.
Depuis trois ans nous avons aussi l’appel à projets Biclou, notre marque exclusive aux magasins bio, avec lequel nous reversons chaque année 7000 € à deux associations à vocation environnementale : mobilités douces, gestion des déchets, biodiversité… Une trentaine d’associations postulent chaque année, nos salariés en pré-sélectionnent cinq puis un jury extérieur détermine les deux finalistes.
Cet engagement environnemental comme social, c’est un bon argument de vente ?
En vérité, surtout sur la gamme Moulins d’Ascq qui est celle que nous vendons le plus, les gens nous achètent d’abord parce que la bière est bonne et qu’on est une marque locale - beaucoup ne savent d’ailleurs pas qu’on est bio ! On ne communique pas non plus forcément beaucoup dessus, on essaie juste de faire les choses à notre image, et à notre hauteur. Et puis honnêtement, ça serait un peu hypocrite de notre part de dire qu’on fait du bio pour faire du bien aux gens : on vend quand même de l’alcool !
Quelle est la suite de l’aventure pour Moulins d’Ascq ?
Nous avons intégré un programme qui s’appelle la Convention des entreprises pour le climat, avec 50 autres entreprises des Hauts-de-France, et qui consiste à écrire la feuille de route régénérative de la brasserie, en continuant à avoir un impact positif. Parmi les actions à mettre en place, il y a la récupération de nos eaux du processus de brassage. Depuis l’année dernière, il est autorisé de les nettoyer sur place pour les rendre propres à la consommation, et de les réutiliser pour le nettoyage, qui est la partie la plus consommatrice d’eau. Aujourd’hui, il nous faut 5,5 litres d’eau pour produire un litre de bière - c’est mieux que beaucoup de brasseries artisanales, mais encore moins bien que certains industriels qui descendent jusqu’à 2,2, 2,3 litres. Voilà l’objectif de demain. Évidemment, ça demande beaucoup d’investissements, mais personnellement je pense que c’est ce qui nous permettra d’être encore là dans 20 ans, parce qu’à un moment, nous n’aurons pas le choix que d’être indépendants des conditions climatiques, de la hausse des prix de l’énergie… On parle d’écologie, mais il en va aussi de la résilience de l’entreprise.
Merci Alban, on termine en vous félicitant pour les quatre médailles obtenues au Concours général agricole, preuve qu’on peut faire des produits bons ET engagés !
Propos recueillis par Hélène et les Houblons pour Le Petit Ballon.